jeudi 26 avril 2007

LES FANTASMES DE MISS SAEKO




Une Lexus noire aux vitres fumées nous conduit derrière la Tokyo Tower. Assis sur la banquette aux côtés de Miss Saeko, je n'ose pas la regarder, feignant de m'intéresser à la pâle copie rouge et blanc de la Tour Eiffel. Le chauffeur séparé de nous par une vitre coulissante arbore des gants blancs, comme un chauffeur de taxi. Il entre dans un sous-sol où deux hommes en costume noir saluent la voiture avec force courbettes. Miss Saeko et moi descendons, tandis qu'ils s'occupent de charger la Lexus dans un ascenseur qui va la caser dans un parking à étages. Miss Sako m'entraîne dans le hall de la résidence, une tour de quinze étages aux angles acérés, toute en verre bleu, avec un toit en forme de pyramide.

Un liftier déguisé en groom nous accompagne au dixième et s'incline devant Miss Saeko qui n'a pas dit un mot durant le trajet. Après avoir ôté mes chaussures comme il sied, je la suis dans un salon au sol parsemé de graviers gris, avec une cascade qui coule dans des bambous emboîtés les uns dans les autres. La maîtresse de maison s'éclipse, je m'asseois sur un tatami. Une servante surgie de nulle part m'apporte un plateau avec du thé vert et des sofuto kuriimu, des boules de glace parfumées au gingembre, disposées dans des petits cônes de gaufrette. J'y goûte du bout des lèvres, un oeil sur la sobriété zen des lieux, loin du brouhaha de Tokyo. Le temps s'écoule avec lenteur, rythmé par le bruit de l'eau. Lorsque la servante revient, elle tient un coussin de velours rouge à deux mains, orné d'un idéogramme qui signifie "Félicité". Enroulé dessus comme un serpent, un fouet noir au manche tressé, qui dégage une odeur de cirage et de cuir ancien. Elle me fait signe de le prendre et j'obéis.

- Madame vous attend ! Dozo.

Elle s'efface pour me laisser passer dans la pièce voisine, après avoir fait coulisser la cloison en papier de riz. Le coeur battant, je découvre Miss Saeko juchée sur une croix en bois, les chevilles et les mains liées par des noeuds de corde. Elle est nue, face à la croix, ses fesses blanches pleines d'anciennes marques de coups. Sa voix rauque résonne dans la pièce vide peinte en noire.

- Je vous attendais !

( A suivre)

mardi 17 avril 2007

RENDEZ-VOUS AU TEMPLE ZOJO-JI







April 4- 2 PM


Quatre jours après ma rencontre avec l'inconnue dans ce cinéma porno de Ueno, je n'ai toujours pas osé l'appeler. Je tourne et retourne sa carte de visite, repoussant l'échéance. Dans quarante huit heures, je rentre à Bangkok. Il me faut percer son mystère avant de plonger dans les bars de Nana Plazza. A midi, j'avale un ramen nami, un bol de nouilles arrosé de thé vert, dans un tachi- kui, une gargotte où l'on mange debout. J'y suis rentré après avoir aperçu un téléphone à pièce près de l'entrée. Protégé par les clients qui font la queue pour leur pause déjeuner, je glisse des pièces de 100 Yen dans l'appareil constellé d'autocollants avec les frimousses de jeunes hôtesses prêtes à vous masser à domicile. Au bout de trois sonneries, la voix rauque de la mystérieuse femme à l'imperméable me souffle à l'oreille. Je ferme les yeux, crois sentir son parfum sucré tout en revoyant ses seins laiteux dans les toilettes.


Il me faut quelques secondes pour retrouver mes esprits et me présenter à elle.


- I remember you ...


Elle me donne rendez-vous au temple Zojo-ji, situé derrière la Tokyo Tower. Elle raccroche sans me laisser le temps de confirmer ou non. Elle sait que je vais venir. Je descends dans la station de métro la plus proche et attrame la rame de la Toei Mita line qui s'arrête à Shiba-koen. J'arrive tout essoufflé au temple Zojo-ji, vingt minutes avant l'heure fatidique. J'en profite pour jeter un oeil aux statues de pierre grises coiffées de bonnets en laine colorés, qui garnissent un jardinet en bas des marches du corps principal du temple. Ces statues de Jizo sont les gardiens des voyageurs et des enfants. Il régne une ambiance triste, toutes ces figures sculptées dans la froideur de la pierre me filent le frisson. Drôle d'endroit pour une rencontre. Plus les minutes passent, plus je me dis qu'elle ne l'a pas choisi au hasard. Sa silhouette se profile enfin dans l'allée qui chemine entre le parking et le jardin. Elle se dirige droit sur moi, comme si elle savait que je me tiendrais à cet endroit précis. (A suivre )

vendredi 6 avril 2007

MON COUP DE COEUR DU MOIS


ESCORT GIRL, par Alysson Heffner


Alysson a trouvé un job d'été dans une drôle d'agence de voyage : escorter des clients qui veulent découvrir le Paris secret, loin des sentiers battus. Elle s'apercevra vite, à son corps défendant (pas tant que ça !) que pour être une bonne "escort girl", il ne suffit pas d'avoir un plan de la capitale... Elle va donc déployer tout le catalogue de ses charmes pour satisfaire les touristes (et les lecteurs) les plus exigeants.


Dans ce récit autobiographique écrit au fil de la plume, une jeune femme moderne qui ne savait pas quoi faire de sa peau découvre sa vocation : elle sera écrivain, ou écrivaine, comme on dit maintenant. Et comme elle est encore un peu jeune, elle a décidé d'accumuler les expériences vécues pour les raconter ensuite... encore toutes chaudes. Ecrire, dit-elle, doit être avant tout un "plaisir"... Qu'en pensez-vous ?

Mon coup de coeur de ce printemps, parole de Saint Just ! Un nouveau grand roman dans la collection déjà culte LES EROTIQUES D'ESPARBEC.

Disponible chez www.lamusardine.com

mardi 3 avril 2007

FIN DE SEANCE




Le couloir sent l'eau de Javel et le déodorant bon marché. Les toilettes se trouvent au fond, près d'une issue de secours. J'avance sur la pointe des pieds dans la faible lumière dispensée par une loupiote au plafond. Les râles de la fille sur son tonneau sont amplifiés par les enceintes derrière l'écran tout proche. Des relents de pisse aigrelette et de parfum sucré se mélangent à l'entrée des toilettes, un local étroit muni d'un lavabo et de deux cabines. J'entre, les hommes alignés devant une cabine ouverte en grand ne prêtent pas attention à moi. Au fond d'une poubelle en plastique, des lingettes pleines de foutre.

J'avance d'un pas et découvre un spectacle incroyable dans la lueur jaunâtre d'un néon : La mystérieuse femme assise sur le couvercle d'un siège de WC, son imperméable ouvert laisse voir ses seins ronds, qui tombent un peu sur les côtés, mais encore fermes. Une culotte blanche masque son bas ventre. La bouche crispée dans l'effort, elle branle un des spectateurs dont la queue sort de la braguette. C'est déjà la fin pour lui, il grogne et crache dans la paume de la femme à la figure d'un blanc laiteux. Il la remercie d'une courbette et va s'essuyer au lavabo. Puis, discret, sans se retourner, il sort pour voir la suite du film. Lorsqu'elle a épongé le dernier, je me retrouve face à elle. J'ai le coeur qui bat, mais malgré mon érection, je n'ai pas le courage de m'exhiber devant elle. Passée une curiosité fugitive identique à celle manisfestée tout à l'heure à mon égard dans la salle, la femme a un sourire énigmatique. Elle se rajuste en nouant la ceinture de son imperméable, et je regrette la vue de ses seins. Elle se lève avec grâce, puis me tend une meishi, sa carte de visite.

- Call me, please !

Je la prends du bout des doigts, charmé par sa voix rauque et ses yeux noirs un brin cernés mais si intenses. Je m'efface pour laisser passer, elle disparaît dans le couloir en faisant claquer ses talons. Je passe la tête sous le robinet, mon précieux trophée en poche. Et je quitte le cinéma, incapable de me concentrer sur ce qui se passe à l'écran...

dimanche 1 avril 2007

CINEMA A TOKYO




Dans la salle, une odeur d'after shave et d'humidité imprègne l'atmosphère. Les sièges en cuir craquent, un boîtier indiquant une issue de secours clignote dans le fond. Mes yeux s'habituent à la pénombre, je vois les têtes des spectateurs en train de mater le film. Ils sont une douzaine, que des hommes. Sauf au premier rang où je devine une silhouette féminine, égarée dans ce ciné hard et essai. Les cheveux coiffés en chignon, transpercés par des baguettes en argent qui accrochent la lumière du projecteur, je ne vois que sa nuque. Distrait, je cesse de regarder la fille en train d'être flagellée pour essayer de mieux voir cette mystérieuse spectatrice. Je suis vite récompensé car voilà qu'elle se lève et remonte l'allée pour s'asseoir au troisième rang, à deux sièges de plusieurs types assis côte à côte. Intrigué par son manège, je scrute l'obscurité pour discerner ses traits. Entre deux âges, sans doute la quarantaine, petite et fluette, elle porte un imperméable. Dans le noir, sa figure a une pâleur fantômatique.

Pas le temps de m'interroger davantage, elle change à nouveau de position, alors que toutes les têtes se tournent vers elle. Cette fois elle s'approche de ma rangée et s'asseoit juste devant, sur le premier siège côté allée. D'une beauté un peu fanée, mais pas vulgaire, sa bouche brille, maquillée d'un rouge sang. Elle jette un coup d'oeil derrière et me repère. Elle a un léger hochement de tête, poli, puis fixe l'écran où la fille subit maintenant les derniers outrages, en levrette sur son tonneau. Quelques minutes passent, et la femme s'en va. Cette fois elle disparaît vers les toilettes, dont l'entrée se trouve sous le boîtier qui clignote. Comme dans un ballet bien réglé, quatre hommes abandonnent leur siège et s'éclipsent en une procession silencieuse vers les toilettes. C'est plus fort que moi, il faut que je sache ce qui ce manigance dans cet étrange cinéma de quartier.

( à suivre)